Diffa, 13 avril ( ANP) - Vendredi 22 Mars 2024, la montre de bord indique 00 h 15. Diffa, métropole de l’extrême Est nigérien, dans le lit du Lac Tchad, repaire du groupe nigérian Boko Haram, est soumise à un sommeil forcé. Pas un seul chat en vue. Par moment des aboiements des chiens errants rompent le silence qui y règne. Par endroit, sous l’éclairage des réverbères, la cité se laisse découvrir dans toute son intimité : des larges rues vides de monde, des magasins fermés à quatre tours, des géants arbres rappelant la proximité de la rivière Komadougou, des buildings modernes côtoyant des habitats en pailles….
Dans les ténèbres, l’ambulance des sapeurs-pompiers se lance au cœur de cette cité ‘’fantôme’’ pour aller chercher une femme en état de travail dont la famille a appelé pour son évacuation vers un centre de santé.
Le reporter de l’ANP a obtenu une autorisation spéciale du Commandant régional des sapeurs-pompiers pour être aux côtés des hommes du chef de bataillon Omar Hamani.
Arrivés à l’adresse de la famille indiquée, les soldats de …secours ont trouvé la femme enceinte accroupie, soutenue dans sa position par ses proches. Elle est embarquée en même temps que deux accompagnantes.
Après environ 10 minutes de trajet, l’ambulance s’immobilise au Centre de santé Mère et Enfant (CSME) où la patiente est admise.
Mme Hadiza Chayabou, l’une des accompagnantes exprime sa satisfaction de la promptitude avec laquelle le service d’ambulances a répondu à leur sollicitation.
De retour à la caserne , une autre mission attend l’équipe de nuit. Cette fois-ci, l’ambulance militaire effectue une sortie vers 1 heure du matin dans un quartier périphérique de la ville où une femme souffrant de saignement après accouchement est conduite au CSME.Son époux, Monsieur Lawan Aboubacar se réjouit de l’évacuation : « l’ambulance n’a vraiment pas mis du temps à nous secourir. Ils nous ont aidés au moment où nous en avons le plus grand besoin. Je suis vraiment satisfait ».
Les deux évacuations ont été toutes opérées avec la même ambulance et le même équipage. Ce qui témoigne une pression sur les hommes et le véhicule de service.
Depuis 9 ans, ce manège fait partie du quotidien des populations de cette partie du pays où l’accès aux soins de santé est sous astreinte. Seules les ambulances militaires ou très souvent celles des centres de santé sont autorisées à faire les évacuations sanitaires durant les heures du couvre-feu, de minuit à 5 h du matin. Un système d’évacuation sanitaire sous le contrôle du gouvernorat assure la continuité des services de soins durant les heures de restriction de mouvement.
« Nous avons pris des dispositions avec les forces de défense et sécurité (FDS) sur cette question et les populations ont les contacts des responsables des FDS pour assurer la régularité de services des centres sanitaires durant la période de couvre-feu », assure le gouverneur de la Région, le Général de Brigade Ibrahim Bagadoma.
Le centre hospitalier régional (CHR) est la plus grande formation sanitaire de la ville et de toute la Région de Diffa.
« Depuis que le couvre-feu a été institué à cause de l’insécurité dans la Région de Diffa, nous nous sommes adaptés pour prendre en charge les patients durant les heures du couvre-feu en mettant en place un système qui permet aux malades d’avoir accès aux soins du CHR de Diffa», fait valoir Dr Oumar Sountal, directeur de l’établissement sanitaire.
Les évacuations concernent également les urgences obstétricales. Sur ce plan, c’est le CSME qui est le centre régional de référence.
« Le centre Mère et Enfant est un centre de niveau 2. Nous avons deux modes d’admission : soit le malade est ramené par les pompiers, soit notre ambulance se déplace pour amener le malade après avoir informé la sécurité », explique le directeur de l’établissement, Edmond Alloké Toussaint.
Si ces formations sanitaires utilisent leurs ambulances pour aller chercher les malades de jour comme de nuit, le service de la protection civile (groupement des sapeurs-pompiers) reste le maître des évacuations sanitaire. Ses opérations se déroulent sous le commandement du Chef de bataillon Omar Hamani.
« A l’heure actuelle, nous disposons de deux (2) bonnes ambulances qui sont opérationnelles », indique le directeur régional de la protection civile.
Le coordinateur des organisations de la société civile de la Région de Diffa, Monsieur Marah Mahamadou argue que la mise en place du système d’évacuation a vu le jour grâce, en partie, aux plaidoyers des acteurs de la société civile.
« C’est un service mobile qui consiste à aller chercher les malades ou les femmes en état de travail », reconnait-il, même s’il trouve que « c’est un service difficile d’accès ».
« L’accès aux soins de santé est très difficile. Le déplacement est limité », regrette le coordinateur de la société civile dans la Région. Le coordinateur des organisations de la société civile de la Région de Diffa porte plusieurs autres griefs à ce système d’évacuation.
« Nous avons l’habitude de recevoir les plaintes des malades qui disent quand ils appellent le 18 (numéro d’urgence), on ne décroche pas et quand on décroche, on dit aux malades de sortir dans les grandes artères pour qu’on puisse le voir. Cela peut le conduire à tomber dans une embuscade ou être attaqué », fait observer M. Marah.
Il souligne par ailleurs que « souvent, avant que les agents de secours n’arrivent, les femmes accouchent ou les maladies s’aggravent, parce qu’ils mettent beaucoup de temps avant de venir (…) Tout ceci montre à quel point l’insécurité agit sur le secteur de la santé », fait-il remarquer.
Yacine Mamoudou, un agent de l’Etat ayant servi dans la Région, raconte avec amertume sa mauvaise expérience avec le service d’urgence médicale« Seul le service de la protection civile se déplace pour aller chercher les malades durant les heures du couvre-feu. Mais un jour, quand j’étais malade, j’ai passé dix-neuf (19) coups de fil à ce service sans succès. J’avais très mal au ventre durant toute la nuit. Mais comme je n’arrivais pas à joindre le service d’urgence, j’ai pris mon mal en patience jusqu’au petit matin pour me rendre à l’hôpital et me faire soigner », se souvient le trentagénaire.
Avec une population de 116 224 en 2023, selon l’INS, la ville de Diffa abritait également 101. 156 réfugiés ; 21 264 retournés et 28 496 déplacés internes en 2021, même si une bonne partie de ces réfugiés et déplacés internes a rejoint ses localités d’origines au cours de la même année.
La ville de Diffa compte moins d’une dizaine d’ambulances, dont seulement quelques-unes sont opérationnelles et autorisées à évacuer durant les heures du couvre-feu.
Le directeur régional de la santé publique parle d’une dizaine ambulances pour toute la ville. La plus part ne sont pas opérationnelles, a-t-on appris de diverses sources.
Du côté de la société civile, on soutient qu’il n’y a qu’une seule ambulance opérationnelle pour toute la ville, celle de la protection civile .
« Il y a une insuffisance criarde des moyens logistiques (ambulances) dans la ville de Diffa même, à plus forte raison en ce qui concerne toute la Région. C’est le service de la protection civile (sapeur-pompiers) qui a à sa disposition une ambulance », soutient l’acteur de la société M. Marah.
Le Gouverneur de la Région précise que « durant certaines heures de la nuit, pour des raisons de couvre-feu, seule la protection civile est autorisée à effectuer les transports d’urgences vers les formations sanitaires ».
Les efforts fournis par les acteurs des évacuations et prises en charge sanitaires durant les heures de couvre-feu sont souvent compromis face à certaines ‘’mauvaises’’ pratiques de la part de la communauté.
« Une autre difficulté est qu’il y a beaucoup de fausses alertes. Par exemple en 2023, nous avons enregistré jusqu’à 66 fausses alertes. Quand une fausse alerte est émise, c’est une fois que nous allons sur le terrain, à l’adresse indiquée, que nous nous rendons compte que c’est une fausse alerte. A côté de ces fausses alertes, nous recevons de centaines et des centaines d’appels chaque jour de la part des plaisantins, comme des enfants qui appellent pour demander de crédits de communication, des filles qui disent qu’elles ont tout simplement envie de causer », déplore le commandant des sapeurs-pompiers.
En ce qui concerne la prise en charge médicale, le Directeur régional de la santé publique estime que la communauté doit s’impliquer davantage.
« Parfois, c’est le retard dans le recours aux formations sanitaires qui fait en sorte que les urgences surgissent et malheureusement tard dans la nuit. Or, dès qu’on sent les premiers signes, il faut faire recours pendant qu’il est temps », affirme le responsable sanitaire.
« La plupart des urgences, comme nous l’avons remarquée, résulte du recours tardif aux formations sanitaires. Ce qui fait en sorte que les choses se compliquent durant la nuit et il n’y a rien à faire que d’évacuer. Il y a des évacuations qui sont dans l’ordre normal des choses et certaines résultent vraiment de la négligence », pointe le professionnel de santé.
En principe les évacuations sanitaires, partout sur le territoire nigérien, sont avant tout la mission du service d’aide médicale d’urgence (SAMU). Cette structure créée à travers un décret du 12 juin 2020, a la responsabilité de la prise en charge pré-hospitalière des personnes en détresse médicale. Le même décret prévoit la création d’une antenne dans chaque région du pays.
Le 13 septembre 2021, un arrêté du ministère en charge de la santé publique a acté la création de ces antennes régionales. Mais par faute de moyens et de manque de volonté politique, la création de ces antennes peine à se concrétiser. C’est donc à défaut d’une antenne opérationnelle du SAMU à Diffa, et dans toutes les autres régions, que les sapeurs-pompiers et les autres acteurs du secteur continuent à avoir la primauté des évacuations d’urgence médicale.
L’absence de ce service prend de relief dans le contexte d’insécurité de la zone. En effet, la région de Diffa est placée sous état d’urgence depuis 2015, après les attaques premières du groupe armé non étatique né au Nigeria connu sous le nom de ‘’Boko Haram’’ actif dans le bassin du lac Tchad partagé entre le Niger, le Nigeria, le Tchad et le Cameroun.
Ces mesures gouvernementales combinées aux menaces terroristes ont eu pour conséquences la restriction d’accès aux services sociaux de base ( sante, éducation, hydrauliques), l’interdiction de ou l’abandon de certaines activités économiques (pêche, agricultures, marchés, certains types de transports ).
MSB/CA/AS/ANP 038 Avril 2024